À la surface cirée d’une table de vendange, entre un tire-bouchon patiné et une carafe soufflée bouche, s’invitent souvent des objets dont on s’étonne de l’audace. Capsules-bibelots, puzzles œnologiques, bagues à verre éclatantes, lampes-bouteilles qui chahutent les ombres d’un dîner : pourquoi ces créations, à la croisée du décoratif et du ludique, ont-elles fleuri dans les arts de la table et les caves ?
Ce que l'on nomme "objets autour du vin", sans forcément s’arrêter sur leur dimension, forment pourtant un écosystème à part. Leur influence s’ancre dans l’histoire des arts de la table, mais s’incarne aujourd’hui dans l’air du temps — entre redécouverte du fait-main, recherche du clin d’œil décalé et impressionnante vitalité créatrice. Une famille, au sens fort du terme, qui dialogue autant avec la tradition qu’avec la pop-culture.
Les objets décoratifs et ludiques liés au vin ne sont pas une mode récente. Dès l’Antiquité, les banquets comportaient leur cortège d’objets de fête : couronnes tressées pour les convives, rhytons zoomorphes (vasques en forme d’animaux pour boire), ou encore coupes ornées de motifs voulant flatter l’œil et l’imaginaire (Source : Musée du Louvre).
Au fil des siècles, Europe et Asie rivalisent d’inventivité. À la Renaissance, on retrouve ainsi des verres d’apparat vénitiens soufflés à la barbotine, réputés pour impressionner autant que pour servir le vin. À la cour de France, les énigmatiques "verres à secret" (verres dotés de compartiments cachés ou d’effets optiques) faisaient la joie des convives lors des soupers masqués.
Cette tradition perdure : en 1867, lors de l’Exposition universelle de Paris, plus de 400 objets « autour du vin » furent présentés en marge des verres et carafes reconnues (Source : Expositions universelles). Leur capacité à marier utilité et étonnement fut alors saluée comme un art de vivre à part entière.
Qu’est-ce qui fait qu’un "chapeau à carafe", un casse-noisette en forme de vendangeur ou un jeu de sous-verres colorés ne sont pas de simples gadgets ? Plusieurs points font écosystème :
En somme, ces objets introduisent une "poésie fonctionnelle" : ils servent le vin, mais via des chemins détournés, donnant à la dégustation une forme augmentée.
L’un des traits qui distingue véritablement cette famille d’ustensiles, c’est leur appartenance à la grande constellation du design d’objet. Car ces accessoires ne sont ni tout à fait utilitaires, ni tout à fait décoratifs : ils se glissent dans l’interstice, tels des « intercesseurs » dirait l’anthropologue Bruno Latour. Le designer Marcel Wanders a notamment conçu une série de bouchons à vin aux allures surréalistes, véritable passerelle entre l’art populaire et la création contemporaine.
La diversité des acteurs donne le ton :
Ce bouillonnement s’observe aussi chez les grandes maisons d’art de vivre : Christofle, Alessi ou Peugeot relancent chaque année des collections où l’objet du vin prend la forme d’un animal, d’un personnage, d’un jeu d’ombre ou d’un clin d’œil à la mode.
Plus qu’un simple ornement, un accessoire de vin peut devenir le déclencheur d’une conversation, d’une anecdote, d’un jeu. Selon un sondage IFOP réalisé en 2022, 67 % des Français aimant le vin estiment que des objets «témoin» viennent enrichir leurs souvenirs lors d’un repas, notamment lorsqu’ils sont insolites ou porteurs d’histoire (IFOP).
On pourrait dresser mille histoires autour de ces médiateurs :
En 2021, le Musée du Vin de Bordeaux a mené une exposition dédiée aux "petits objets du vin", soulignant combien leur manipulation favorise le récit, l’apprentissage entre générations, et la transmission du patrimoine viticole (Source : La Cité du Vin).
Longtemps absents ou minorés dans les guides œnologiques, ces objets trouvent aujourd’hui leur place dans la panoplie du dégustateur créatif. Selon une étude menée par le London Wine Fair en 2023, plus de 40 % des nouveaux accessoires de vin présentés relèvent du ludique ou de l’esthétique, soit une progression de 13 points en cinq ans (London Wine Fair).
Leur force ? Ils invitent à décaler le regard, pour approcher la dégustation de façon moins codifiée, plus sensorielle, plus collective. Les objets ludiques (cartes à parfums, sabliers pour tempérer l’ouverture d’une bouteille, ou quizz pour réveiller la table) agissent comme des déclencheurs d’expérimentation. Les objets décoratifs, eux, célèbrent la beauté du geste, la présence du vin dans l’espace domestique.
Dans un monde où la ritualisation du vin est parfois perçue comme un frein, ces objets offrent une passerelle, permettant à chacun, amateur fervent ou novice curieux, de s’approprier à sa façon l’univers du vin.
Les objets décoratifs et ludiques autour du vin ne se contentent pas d’orner la table ou d’animer la soirée. Ils illustrent le renouvellement perpétuel de la culture œnologique. Porte d’entrée vers des terroirs lointains, miroir des tendances design ou incubateur de curiosité, ces objets accompagnent les mutations gustatives et sociales de notre époque.
Si leur popularité ne cesse de croître — 150 nouveaux brevets déposés chaque année dans le domaine des accessoires de vin en Europe, selon l’OEB (Office Européen des Brevets, 2023) —, c’est qu’ils répondent à un besoin fondamental : celui de raconter, d’expérimenter et de célébrer ensemble. Ils forment une famille singulière, entre héritage et invention, qui ne cesse de renouveler le plaisir de la dégustation.
Au fil des générations, du verre soufflé à la lampe connectée, du bouchon-personnage aux jeux de société, ces objets écrivent une histoire parallèle de la civilisation du vin. Chacun, à sa façon, invite à la curiosité, à la transmission et au petit éclat de poésie qui transforme un simple moment en souvenir mémorable.