Des objets qui parlent : voyage sensoriel à travers les accessoires du vin, au gré des régions et des siècles

20/07/2025

Du calice mésopotamien à la coupe gauloise : les racines de l’accessoire de vin

L’histoire des accessoires de vin s’enracine dans la nuit des temps. Les fouilles archéologiques de la région de Géorgie (8000 ans avant notre ère) révèlent de simples jarres en argile — peut-être les tout premiers « verres à vin », conçus pour accompagner la fermentation et la dégustation du qvevri, un vin ancestral issu d’amphores enfouies (source : UNESCO).

Si, en Égypte antique, la coupe de vin relève déjà du symbole sacré (servant aux offrandes divines autant qu’aux banquets), la Grèce antique perfectionne l’usage social du vin. Les Grecs faisaient du symposium une véritable cérémonie, où chaque accessoire avait son sens. Parmi eux :

  • Le krater, vaste vase où l’on mélangeait le vin et l’eau (le vin se buvait rarement pur, jugé trop fort et barbare).
  • Le kyathos, petite louche qui distribuait le vin du krater vers les coupes.
  • La kylix, coupe plate pensée pour la convivialité, parfois décorée de scènes mythologiques cachées qui apparaissaient au fil de la dégustation.

Ces accessoires, tous issus d’ateliers locaux, différaient déjà selon les régions du monde grec ou l’Italie étrusque voisine. Ils révélaient non seulement des préférences stylistiques (motifs, poignées, formes), mais aussi des variations de fonction et d’usage.

L’esprit du terroir : comment les régions façonnent les objets du vin

En France, la diversité viticole se lit aussi dans celle de ses accessoires, témoins de terroirs et de traditions parfois très ancrées.

Sud-Ouest et Pays basque : la convivialité du porron

Dans le Sud-Ouest et de l’autre côté des Pyrénées, en Catalogne ou au Pays Basque, s’élance un objet ludique et précis : le porron. Carafe au long bec, soufflée en verre local, elle permet de verser le vin directement à la bouche, à distance, sans que le récipient ne touche les lèvres. Un geste collectif par excellence, qui lie le partage à l’habileté, et qui trahit une géographie : le porron naît là où la vigne se mêle à la fête, à la chaleur humaine et à la simplicité campagnarde (source : Musée du Vin de Catalogne).

Champagne et Bourgogne : élégance et exigence du service

À qui a déjà dégusté un vieux millésime dans une maison de Champagne, le souvenir de la flûte s’impose. Pourtant, c’est bien la coupe — large, peu profonde, censée reproduire la forme du sein de Madame de Pompadour selon la légende — qui a d’abord symbolisé le prestige des bulles (source : Musée du Champagne). La flûte viendra plus tard, à la faveur du développement des vins effervescents en bouteille et de la recherche d’un verre capable de mieux préserver la finesse des bulles et des arômes.

Non loin, en Bourgogne, la tastevin s’impose comme l'accessoire des connaisseurs : une petite coupelle en argent, au fond bombé et aux godrons visibles, qui permettait jadis de juger la limpidité et la couleur d’un vin dans la pénombre des caves. Chaque tastevin bourguignon était souvent gravé, personnalisé, transmis de génération en génération. Son usage s’est peu à peu effacé avec la généralisation de l’électricité et du verre transparent.

  • Bourgogne : Tastevin en argent, orfèvrerie locale
  • Bordeaux : Carafes longilignes pour le décantage, tradition héritée du siècle des Lumières

L’Alsace : couleurs et traditions paysannes

La dégustation alsacienne se distingue longtemps par des verres à pied vert — la couleur du savoir-faire verrier local. Le verre s’affine vers le XIXe siècle, mais les motifs émaillés à fleurs, toujours fabriqués selon des méthodes héritées du Moyen-Âge, racontent un rapport joyeux, coloré et familial au vin. Certains accessoires — gobelets et pots à vin de potier — sont encore prisés lors des grands rassemblements populaires.

Du banquet royal à la cave humble : matériaux et statuts sociaux

Le choix du matériau, des décors et du raffinement des accessoires a très longtemps traduit une appartenance sociale, tout autant qu’un ancrage local.

  • Moyen Âge et Renaissance : Les coupes et pichets en étain, plus accessibles, côtoient les verres vénitiens délicatement ouvragés dans les palais princiers.
  • Orfèvrerie baroque : Au XVIIe siècle, la mode des hanaps, gobelets dorés ou argentés ornés de scènes allégoriques, consacre l’accessoire de vin comme marqueur de richesse (voir : Trésors du Musée de Cluny).
  • Faïences régionales : De la soupière au pichet normand, la France populaire s’enivre de terre vernissée, souvent décorée d’inscriptions ou de portraits, objets utilitaires transformés en témoins d’appartenance et de fierté locale.

La démocratisation progressive du verre soufflé à la fin du XVIIIe siècle (grâce aux innovations anglaises puis françaises) transforme profondément le service du vin. Les verreries de Baccarat, Saint-Louis ou Cristalleries de Sèvres deviennent le fleuron d’un luxe accessible. On estime qu’en 1850, le prix d’un verre soufflé à la bouche chez un artisan était près de dix fois inférieur à celui fabriqué dans un atelier royal au siècle précédent (source : Musée des Arts Décoratifs, Paris).

Objets, gestes et rites : la diversité des usages au fil des époques

Chaque accessoire du vin a une raison d’être qui touche à la fois à la technologie du moment, à la nature du vin et à ce que l’on attend de la dégustation.

  • Moyen Âge : Le vin se boit épais et rustique ; gobelets sans pied pour la robustesse, passoires (ou tamis à vin) en cuir pour filtrer le dépôt, cornes à boire en Europe du Nord chez les élites germaniques (voir : British Museum).
  • Époque Moderne : Le vin, plus limpide, appelle de nouveaux ustensiles : la pipette bordelaise pour prélever le vin directement du tonneau ou du foudre, la carafe qui apparaît pour aérer le vin en douceur.
  • France rurale du XIXe siècle : Ustensiles multifonctions, souvent adaptés au mode de vie agricole : bidons de zinc, gourdes de terre cuite au couchaud provençal, le tonnelet de vigneron — ancêtre de la flasque — porté en bandoulière lors des vendanges.

Chaque accessoire accompagne un geste, un rythme. Le sommelier en restaurant, dès la Belle Époque, met en scène le sabrage du champagne — fête, prouesse, signe de distinction militaire d’origine napoléonienne (source : Comité Champagne).

Évolution technique et design des accessoires : l’invention du goût

Loin d’être figée, l’histoire des accessoires de vin épouse celle des grandes inventions scientifiques et des modes de vie. Quelques jalons :

  • XVIIIe siècle : Apparition du bouchon en liège au Portugal, révolutionne la conservation et donne naissance au tire-bouchon. Les premiers modèles, inspirés des tire-boulons du fusil des soldats anglais, apparaissent vers 1795 (source : Musée du bouchon, Palencia).
  • XIXe siècle : Règne du verre, de la carafe à décanter (ou carafe à canard en Bourgogne, voire carafe en forme de navette en Provence). Le style Art nouveau explose en Alsace et dans la vallée de la Loire, donnant des objets où la courbe épouse la fonctionnalité.
  • XXe siècle : Les pionniers du goût — Riedel, Spiegelau — introduisent des verres œnologiques pensés pour chaque cépage, avec des hauteurs, des ouvertures et des tulipes adaptées à la géométrie des arômes. Un Bordelais n’a plus le même verre qu’un Ligérien, souci du geste et sensualité obligent (source : Verres et dégustation, La Revue du Vin de France).

Quant aux accessoires plus utilitaires — seau à glace, thermomètre, bec verseur anti-goutte — ils jalonnent la table de la bourgeoisie du XXe siècle, avant de se diffuser plus largement.

L’anecdote qui fait mouche : l’extravagance du pichet anglais et le génie du bouchon de liège

Certains accessoires s’imposent par le hasard, la nécessité ou l’inspiration du moment. Au XVIIIe siècle, les buveurs anglais se délectent du dribble pot — pichet à vin percé d’un petit trou à sa base, obligeant l’utilisateur à poser le doigt dessus pour verser. Une fantaisie qui permettait aux hôtes d’exercer leur générosité... ou leur facétie. Quant au bouchon de liège, sa généralisation à l’ère du transport maritime fut permise grâce à l’adaptation des quercus suber, ces chênes-lièges qu’on cultive depuis l’Antiquité dans tout le bassin méditerranéen. On estime à 340 000 hectares la superficie actuelle de forêts de liège au Portugal, qui produit à lui seul près de 50 % des bouchons mondiaux (source : APCOR, Association Portugaise du Liège).

L’héritage vivant : entre transmission et création contemporaine

Si certains accessoires perdurent (la carafe, le tire-bouchon, le tastevin remis au goût du jour par les confréries), d’autres renaissent sous une nouvelle forme. La mondialisation du vin a fait émerger des objets hybrides — décanteurs électriques, bouchons en acier designés par de grands noms du design (Alessi, Philippe Starck), verres incassables pensés pour les voyages — sans jamais effacer le charme d’un objet ancien ou d’une tradition régionale.

Dans les ateliers contemporains, le dialogue entre passé et présent continue. Le souffleur de verre adapte sa technique à la demande des sommeliers, la céramiste réinvente le gobelet de dégustation, l’artisan du cuir revisite la sacoche à flacons des vendanges. Près d’un millier d’artisans viticoles sont aujourd’hui recensés en France par l’Institut National des Métiers d’Art, preuve que l’accessoire de vin reste vivant, vibrant, et infiniment pluriel.

Les accessoires de service du vin, éternels compagnons de nos découvertes

À l’image des cuvées et des cépages, chaque accessoire de vin fait écho à un terroir, un climat, une table, un art de vivre. Si la mondialisation homogénéise parfois les gestes, chaque objet conserve une mémoire et une capacité d’émerveillement : plaisir de l’innovation technique, mais aussi plaisir de se laisser surprendre par un détail régional, un matériau, une patine. L’accessoire de vin, c’est une ode au partage, à la curiosité, à la transmission. Il ne tient qu’à nous de les (re)découvrir, d’imaginer de nouveaux usages, et d’honorer à chaque dégustation l’esprit inventif qui a, depuis des siècles, habillé le vin de mille et une façons.

  • Sources principales : UNESCO, Musée du Vin de Bourgogne, Musée Cluny, La Revue du Vin de France, Comité Champagne, Musée du Bouchon (Palencia), APCOR, Musée des Arts Décoratifs.

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