Objets à la loupe : métamorphoses des matériaux dans l’art du vin à travers les âges

09/08/2025

De la terre modelée à l’âge du bronze : premières saveurs et premiers gestes

L’histoire du vin est d’abord celle des gestes. Avant que la vigne ne couvre les coteaux de Méditerranée, c’est dans des jarres en argile — les célèbres kvevris géorgiens, apparus près de 6000 ans avant notre ère (source : UNESCO) — que l’on fermentait et conservait le vin. L’argile : matière humble, malléable et pourtant capable de conserver dans l’ombre de ses parois les saveurs du premier nectar.

  • Kvevris : Spécificité géorgienne, ces amphores enfouies en terre favorisaient la stabilité thermique, la micro-oxygénation et donnaient ce goût si particulier, légèrement terrien, au vin antique.
  • Terracotta romaine : En Italie, chez les Étrusques puis les Romains, amphores, dolia et calices en terre cuite ponctuaient le quotidien et les banquets. La résistance à l’acide du vin et le coût modéré justifiaient ce choix, mais on lasurait souvent les surfaces intérieures de résine pour limiter la porosité.
La terre fut également la matière première des cruches et des verres à boire des civilisations sumérienne, égyptienne, et perse, chaque culture aiguisant son geste, sa forme et sa décoration selon ses rites et préférences.

L’éclat du métal : du prestige à la précision

Entrée fracassante du métal lors de l’âge du bronze et surtout du fer : le cuivre d’abord, puis le bronze, l’argent et l’or, ont peu à peu concurrencé la céramique. Les coupes et calices métalliques traversent la Méditerranée : Grèce antique, Étrurie, Rome.

  • Métaux précieux : Coupe de Darius (argent, Perse), rhyton phrygien (métal ciselé), et jusqu’aux celtes qui réalisent d’imposantes situles. Ces objets assoient le pouvoir, impressionnent les convives. D'après le British Museum, les calices d'argent étaient présents dans tous les banquets importants dès le VIe siècle av. J.-C.
  • Propriétés : Le métal a transformé la dégustation. L’inerte argent, le goût parfois métallique du cuivre, la fraîcheur du contenu… Les différences sensorielles étaient déjà notées, notamment chez Pline l’Ancien.
Mais pour la pratique quotidienne, l’étain, plus abordable, s’imposera durablement du Moyen Âge à la Renaissance. Les gobelets en étain font leur apparition sur toutes les tables, désignant parfois plus le rang que le goût.

Le temps du verre : la révolution sensorielle

Rare et précieux en Égypte, façonné, soufflé, poli à Murano ou en Bohême, le verre bouleverse le monde du vin dès la fin du Moyen Âge :

  • En 1450, Venise possède 24 fours à verre sur l’île de Murano, produisant des gobelets et carafes raffinés qui filtrent la lumière et mettent le vin en scène.
  • À partir du XVIIe siècle, la maîtrise anglaise de la fabrication du verre au charbon permet la naissance de la bouteille en verre sombre, bien plus robuste (source : musée de la bouteille de Sèvres).
Le verre n’est pas qu’une question d'esthétique : il ne garde aucune odeur, permet d’observer la robe du vin, et favorise sa conservation. La naissance du verre à pied (XVIIe siècle) modifie jusque dans la gestuelle de dégustation : l’alcool reste frais, et la main ne vient plus troubler la délicatesse des arômes.

L’influence cachée des matériaux sur la dégustation

Les matériaux ne se contentent pas de contenir le vin : ils en changent la nature même.

  • Poterie poreuse : Interactions fortes entre la matière et le contenu, micro-oxygénation prononcée, marqueurs aromatiques accentués.
  • Métaux : L’argent et l’étain n’oxydent pas le vin mais peuvent altérer ses tanins, lui donnant parfois un goût métallique perceptible (notamment sur les vins blancs jeunes et nerveux).
  • Verre : Par son inaltérabilité et sa neutralité aromatique, il libère pleinement la palette du vin, rend les nuances visibles et prolonge la pureté.
Pour les œnologues, la différence entre une amphore en argile et une cuve inox, ou entre un gobelet en métal et un verre à pied, devient décisive lors de la dégustation, soulignant le rôle du contenant dans la perception globale (voir travaux de l’Université de Bordeaux, 2017).

Révolution industrielle et nouveaux horizons : inox, plastique et inventivité

Avec le XIXe puis le XXe siècle, l’accélération industrielle bouleverse l’univers des ustensiles du vin. Inventions, rationalisation, et démocratisation sont de la partie.

  • L’inoxydable : Dès les années 1920, les premières cuves en acier inoxydable changent la vinification : hygiène accrue, contrôle des températures, émancipation vis-à-vis de la tradition boisée. Cet avènement modifie la collection d’ustensiles : cuves, seaux, tire-bouchons se modernisent.
  • Le plastique : Si l’utilisation du plastique a, à ses débuts, soulevé des réticences parmi les puristes, il a permis aux accessoires du vin de se démocratiser à une échelle sans précédent. Paniers pour la vendange, bouchons, verres incassables pour le pique-nique : quelle liberté, certes, mais l’amateur sensible à la pureté aromatique reste vigilant à ce qui, dans le plastique, peut influer sur le goût ! (études INRA, 2015).
  • Bouchons et capuchons : L’introduction du bouchon synthétique et de la capsule à vis, d’abord décriés, permettent d’éviter les défauts de bouchon (goût de bouchon, oxydation prématurée), offrant de nouveaux horizons à la conservation.

Bois, céramique et retour à la tradition revisitée

À l’ère du high-tech, l’appel du bois demeure une constante. Le fût de chêne, incontournable de l’élevage, imprime à chaque vin sa signature aromatique — vanille, toasté, épices — et ces pipettes, tastevins, cuillères à bonde taillées dans le buis ou le chêne perpétuent leur charme artisanal. Depuis une quinzaine d'années, un nouvel élan anime les créateurs et vignerons : on redécouvre l'intérêt de la céramique haute température, on explore la réhabilitation des amphores, on conjugue l’inox à la céramique ou au béton. Les goûts évoluent, la palette matérielle s’élargit, la créativité, nourrie des savoir-faire ancestraux, s’invite à la table de la modernité.

Objets-signatures et matières du XXIe siècle : design, durabilité et innovation

Aujourd’hui, les accessoires du vin sont le terrain de jeu privilégié des designers et des artisans de l’innovation. Les enjeux ne sont plus uniquement esthétiques ou pratiques, mais aussi environnementaux et sensoriels.

  • Verre soufflé ultra fin : Les créateurs tels que Zalto ou Riedel rivalisent de finesse et mettent l’accent sur la forme autant que sur le matériau, afin d’exalter chaque cépage.
  • Recyclage et écoconception : Upcycling de tonneaux en mobilier, bouchons en matières compostables, verres éco-conçus. Les initiatives comme celles du collectif ReVine, en France, sensibilisent aux impacts écologiques des matériaux dans l’industrie du vin (source : ReVine).
  • Technologies hybrides : Du verre borosilicate résistant aux chocs thermiques, aux accessoires connectés en matériaux composites, les innovations cherchent autant à améliorer l’usage qu’à préserver l’essence du vin.
À l’ère des collaborations entre sommelier, artisan et designer, chaque objet promet une expérience sensorielle nouvelle : carafe inspirée de la céramique néolithique, verre ovoïde rappelant l’œuf originel du vin, bouchon intelligent et durable…

Vers une créativité partagée : transmission, hybridations et curiosité

Derrière chaque matériau choisi, il y a une histoire : celle du lieu, du goût, de la main qui façonne et du désir de transmettre. Hier terre, puis argent, puis verre soufflé, aujourd’hui matières composites et gestes artisanaux revisités, l’ustensile n’est jamais accessoire dans le vin, il en est la voix, l’écrin, la mémoire tactile. À travers les métamorphoses de ses matériaux, l’objet de vin porte en lui la trace sensible de chaque époque, et invite à une dégustation où la curiosité n’a jamais de fin. De la cave à la table, chaque nouvelle matière n’est pas seulement un progrès technique : c’est une proposition d’expérience, une incitation à créer, à transmettre, à réinventer l’art de savourer.

Références

  • UNESCO, "La vinification en Kvevri, Géorgie", Consulté en 2024
  • British Museum, Galleries of Ancient Greece, Consulté en 2024
  • Musée de la Bouteille de Sèvres, Exposition 2023
  • Université de Bordeaux, Recherche sur l’impact des contenants sur la dégustation, 2017
  • INRA, "Migration de composés des plastiques vers les aliments", 2015
  • ReVine, Repensez l’économie circulaire du vin, Consulté en 2024

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