Quand l’ustensile du vin se fait icône : prestige, collection et art de vivre

29/10/2025

De l’outil à l’objet de désir : la naissance d’un prestige

Un simple tire-bouchon peut-il devenir une légende ? Difficile à imaginer, tant l’ustensile, dans sa vocation première, semble prosaïque. Et pourtant, le tire-bouchon "Sommeliers" de Laguiole fait rêver les amateurs, le bec verseur "DropStop" se trouve dans les musées du design, la clé de cave anciennement offerte en héritage… Voici quelques jalons qui expliquent ce passage vers l’exception :

  • La rareté et l’artisanat : Certains accessoires sont réalisés en très petites séries, utilisant des matériaux nobles (ébène, corne, étain, orfèvrerie). Les tire-bouchons du XVIII siècle, précieusement ouvragés, s’arrachent lors de ventes aux enchères, comme lors de celle organisée par Bonhams à Londres en 2022 où un tire-bouchon Thomason a dépassé 5 000 € (Bonhams).
  • Le geste et la liturgie : Déboucher, carafer, servir… chaque étape s’accompagne de rituels qui transcendent la matière de l’outil pour en faire un symbole. À l’image du sabrage du champagne, dont la sabre signé Laguiole Prestige peut atteindre 700 € en édition limitée.
  • L’alliance de la tradition et du design : Le verre « universel » Zalto – plébiscité par le critique Eric Asimov dans le New York Times (NYT) – s’offre comme un écrin contemporain à la dégustation. Son élégance, sa finesse, sa prouesse technique font du Zalto un must pour de nombreux collectionneurs, avec des tarifs dépassant 50 € l’unité.

Petite histoire d’ustensiles qui ont marqué l’art de la dégustation

Chaque famille d’accessoires possède ses héros et ses signatures inoubliables. Quelques exemples parmi les plus recherchés :

  1. Le tire-bouchon :
    • L’anglais du XIX siècle : Certaines pièces signées Samuel Henshall (inventeur du premier tire-bouchon spiral breveté, 1795) se vendent aujourd’hui plus de 2 000 € chez Christie's ou Skinner Auctions.
    • Le modèle "Sommelier" Laguiole : Créé en 1993 par l’artisan Guy Vialis, alliant bois précieux et finition à la main, il symbolise le raffinement du service à la française.
  2. La carafe : Certaines créations anciennes, soufflées bouche, rivalisent d’élégance. Les carafes Baccarat ou Lalique, associées à des millésimes mythiques (ex. Château d'Yquem 1937 vendu dans une carafe Lalique pour plus de 85 000 € en 2010, source : The Drinks Business), sont entrées au panthéon des accessoires d’exception.
  3. Le verre : De la série Vinum de Riedel (1986) – la première à proposer une forme pour chaque cépage, bousculant alors les habitudes de dégustation – à l’esthétique minimaliste de Zalto, le verre de dégustation est devenu un terrain d’expression pour les designers (Philippe Starck, Richard Brendon...)

Le rôle du design et des signatures d’artisans dans le prestige

L’essentiel n’est jamais purement fonctionnel. Ce qui distingue l’ustensile remarquable, c’est la rencontre entre usage, beauté et intention : la main de l’artisan ou la vision du designer.

  • Identité & innovation : Un bec verseur anti-goutte en inox, dessiné par Jacob Wagner pour la maison menu, ou le tire-bouchon Bilame (L’Épivac, 1949), semblent à première vue anecdotiques mais ont révolutionné la culture du service.
  • Objets-signatures : Les maisons comme Christofle, Puiforcat ou Ercuis ornent leurs tire-bouchons, verseurs ou taste-vins d’argent massif de poinçons dignes des grands orfèvres. Un tastevin signé par un maître-orfèvre bourguignon du XIX siècle peut être estimé entre 800 et 3 000 € chez Sotheby’s.
  • Design contemporain : Aujourd’hui, de jeunes créateurs remettent en question les formes et les rituels classiques : la carafe Ayam chez Riedel, sorte d’objet-monde, ou les outils multifonctions de L’Atelier du Vin, qui se veulent à la fois beaux, ludiques et ergonomiques.

Collectionner les ustensiles de vin : un marché international en expansion

Le marché de la collection d’ustensiles de vin est loin d’être marginal. Selon l’étude du cabinet Art Market Research (2021), la catégorie « objets de cave et de sommellerie » a vu son volume d’enchères croître de plus de 30 % depuis 2015.

Certains chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • Un lot de tire-bouchons anciens, vendus chez Catawiki en 2019, a atteint 12 200 € pour 46 pièces rares.
  • La maison Sotheby’s a organisé en 2021 une vente exclusive “The Wine Collector’s Cellar”, où les accessoires représentaient près de 12 % de la valeur totale vendue – un chiffre en hausse par rapport aux 4 % de 2010.
  • Des forums spécialisés (notamment "ICC – International Correspondence of Corkscrew Addicts") rassemblent aujourd’hui plus de 500 collectionneurs actifs dans 20 pays.

Le prestige de ces objets s'appuie non seulement sur leur beauté ou leur histoire, mais également sur une traçabilité de plus en plus rigoureuse. Certains outils sont certifiés d’origine, accompagnés d’un livret voire d’une archive photographique (notamment pour les pièces Lalique ou certaines éditions limitées de Château Laguiole).

Objets du vin, miroirs d’une époque

Chaque ustensile raconte aussi l’évolution des goûts, des modes et des rêves associés au vin :

  • Fin XIX - début XX : L’objet fonctionnel s’orne, se ritualise ; les grandes maisons bourgeoises font réaliser des coffrets de service sur mesure, aux armoiries familiales.
  • Années 60-80 : L’expérimentation règne : Riedel impose la notion de “verre cépage”, des designers italiens (Alessi, Bugatti) insufflent l’esprit Pop ou Art déco dans les accessoires de bar.
  • XXIe siècle : Le retour à l’artisanat d’art, à la matière brute et au slow made (initiatives "Made in France", collaborations entre artisans et sommeliers), rencontre un public en quête de sens et d’héritage.

L’ustensile, un passeur entre générations ?

Nombre de familles vigneronnes transmettent avec respect certains ustensiles de père en fils. Un tastevin gravé, une clé de cave usée, deviennent reliques porteuses d’émotion. Parfois, leur valeur symbolique l’emporte sur la valeur matérielle. Ces objets nous rappellent que la dégustation, bien au-delà des étiquettes, est aussi affaire de mémoire et d’attachement.

Pourquoi cet attachement ? Mécanismes de la passion et de la collection

Qu’est-ce qui pousse à rechercher un tire-bouchon de 1830 plutôt qu’un tire-bouchon lambda du commerce ? Psychologues, sociologues et économistes s’accordent à dire qu’il s’agit d’un mélange subtil de facteurs :

  • Le sentiment d’appartenir à une histoire collective : collectionner, c’est relier son geste à une longue chaîne de passionnés.
  • Le plaisir de la rareté et de la quête : tel un chasseur de trésors, le collectionneur d’ustensiles scrute catalogues, brocantes et salles de ventes anonymes.
  • L’émergence du goût pour l’objet beau et unique : à l’heure de la production industrielle, l’unique reprend ses lettres de noblesse.

Enfin, il ne faut pas oublier la part de jeu, de surprise, de transmission ! L’ustensile de vin qui trône dans une vitrine, c’est souvent le témoin d’une balade, d’une soirée, d’une rencontre avec un vigneron ou un artisan confidentiel.

Vers une nouvelle ère pour les accessoires de prestige ?

Face à la mondialisation, au boom de la vente en ligne et à la curiosité internationale, certains accessoires longtemps réservés à une élite deviennent plus accessibles ou visibles. Des séries limitées sont produites pour des maisons de champagne (ex : Piper-Heidsieck collaborant avec Baccarat) ou des designers indépendants imaginent des tire-bouchons écoresponsables en matériaux recyclés (The Pretender de Pulltex, lauréat du prix Red Dot 2020).

  • Le digital permet aussi de (re)découvrir des savoir-faire oubliés – le site du Musée du Tire-bouchon à Ménerbes est une ressource précieuse (Musée du Tire-Bouchon).
  • La valorisation de l’artisanat d’art, portée par le succès de salons comme Révélations au Grand Palais ou Maison & Objet, pousse de jeunes créateurs à inventer l’accessoire de demain : local, poétique et durable.

Raconter les objets pour raconter le vin, et vice versa

Objets du quotidien devenus compagnons de collection, signatures d’artistes ou humble ustensile légué par un aïeul, les accessoires du vin sont d’éloquents témoins de notre manière d’aimer le vin. Les grands noms du design, l’exigence des œuvres d’artisan, les passions collectrices, la transmission familiale… autant de cordes à la harpe du prestige œnologique. Derrière un simple tire-bouchon ou une carafe s’invite déjà l’histoire des hommes, du partage et du goût du beau.

La prochaine fois que la main hésitera, du bout des doigts, à choisir un accessoire, il suffira de se demander : celui-ci, quel chapitre de notre grande épopée œnologique est-il prêt à écrire ?

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